vendredi, janvier 29, 2010

"L'archimandrite" de Gabriel Matzneff

Très beau roman signé Gabriel Matzneff. L’auteur se met en scène par le biais du personnage de Cyrille Razvratcheff, un jeune homme de vingt-huit ans, parisien d’origine russe dont le père était un grand seigneur à l’ancienne mode et dont la mère ne revint jamais de sa déportation à Buchenwald. Cyrille prépare une licence de lettres classiques à la Sorbonne mais il est inconstant et passe le plus clair de son temps à draguer des filles à la piscine Deligny. Il vogue ainsi de conquêtes en conquêtes et ses aventures sont purement érotiques jusqu’à ce qu’il rencontre Béatrice, une jeune fille de bonne famille. Alors commence pour Cyrille une relation orageuse qui se transforme très vite en une passion possessive qui ne lui laisse plus de répit et qui va lentement détruire sa vie.

Sur cet amour passionné qui prend beaucoup de place dans le récit viennent se greffer plusieurs personnages intéressants. Nous avons le père Jules Boulard, un catholique romain converti à l’orthodoxie et vivant avec sa mère. L’archimandrite Spiridon (Boulard) effectue les tâches de son ministère comme un boulot ordinaire et il est dévoré par l’ambition. Il rêve de s’élever dans la hiérarchie de l’Église orthodoxe et est obsédé par le droit canon. Il y a aussi la famille Herman dont le père est avocat du barreau de Paris et aussi vice-président de la Fédération des étudiants russes. Nous retrouvons également le père Carderie et autres représentants de l’Église orthodoxe. Enfin, tous se réunissent régulièrement chez les Herman afin de discuter de l’avenir de l’orthodoxie en France et autres grandes questions de l’heure.

C’est un roman qui renferme les thèmes typiquement matzneviens que sont la religion, l’amour, la baise, l’orthodoxie, le salut de l’âme, le mal de vivre et le suicide. Comme je l’ai déjà mentionné, l’histoire d’amour entre Béatrice et Cyrille domine le récit et cela devient un peu lassant. J’ai trouvé le personnage de Béatrice assez fade et insipide. La relation entre elle et Cyrille est plutôt quelconque. Le sexe est le ciment de leur attirance mutuelle mais le jeune homme cynique et libertin éprouve pour elle des sentiments jamais éprouvés auparavant. Par contre, Béatrice fait preuve envers lui de superficialité et ne cherche pas à sonder son pâme. Elle se comporte comme une jeune bourgeoise mondaine, ce qu’elle est après tout. J’aurais aimé que monsieur Matzneff développe plus le personnage de l’archimandrite car il m’a semblé beaucoup plus intéressant ainsi que les membres de la famille Herman.

Ce n’est pas un roman que je recommande à tous. Il est à mon avis réservé à ceux qui aiment Gabriel Matzneff et désire entrer dans son univers quoique ce soit un roman extrêmement bien construit et d’une écriture de grande qualité. Mais on n’y retrouve pas l’humour inimitable de l’auteur sauf par petites touches de ci de là. C’est plutôt un roman basé sur la dualité qui existe entre les plaisirs de la vie terrestre et l’importance d’assurer son salut. La fin est extrêmement émouvante et belle.

« Méprisant les autres, s’ennuyant avec lui-même et, bien qu’il se démenât pour être heureux, n’aimant pas la vie, il était incapable d’engagement, incapable de sérieux et il ne savait que jouer avec le monde, jouer avec l’Église, jouer avec la politique, jouer avec l’amour, jouer, jouer, jouer, pour toujours pouvoir crier « pouce », se désolidariser et s’enfuir dans la solitude à la recherche de quelque chose qui ressemblât à une paix intérieure, qui n’était jamais qu’un vide affreux et qu’il fuyait pour retourner à ses spectres de passions lorsqu’il ne supportait plus ce désert de l’âme que seul un dieu aurait pu emplir et où il ne rencontrait qu’un diable morose qui lui ressemblait comme son double et qui le regardait en ricanant. »

« Il ne voulait pas rentrer chez lui. Il sentait poindre une de ces heures mauvaises où, prenant en une égale horreur sa solitude et sa liberté, il marchait au hasard des rues, comme un possédé, à la recherche de n’importe quoi qui ne fût pas lui jusqu’à ce qu’il trouvât l’oubli dans le plaisir, dans la boisson ou dans un cinéma. Moments de vacuité affreuse où ni l’art, ni la sagesse, ni la religion, ni le respect de soi ne comptaient pour rien et où Razvratcheff n’était plus qu’un pantin disloqué, morcelé, écartelé par ses démons innombrables comme un supplicié par des chevaux. Cette inquiétude et cette torpeur de l’âme le visitaient presque chaque jour au coucher du soleil et, s’il se trouvait seul, il était rare qu’il ne s’abandonnât pas à ces ténèbres dont, après y avoir tourné en rond pendant des heures comme un homme ivre, il émergeait le corps brisé et demandait alors au sommeil pacifiant de lui rendre un semblant d’intégrité. »



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