Lors d’un festival du cinéma de Lille, le cinéaste québécois Pierre
Falardeau fait la rencontre du peintre hollandais Léon Spierenburg. Leur
amitié durera toute leur vie et seule la mort réussira à y mettre un
terme. Pendant toutes ces années, les deux hommes échangeront une
correspondance qui, sans être particulièrement fournie, étonne car elle
s’étend sur de nombreuses années. Le livre présente toutes les lettres
écrites par Pierre Falardeau à son ami hollandais mais malheureusement,
aucune du peintre hollandais et je trouve un peu dommage de ne pouvoir
lire aucune missive du peintre.
Les lettres de Pierre Falardeau sont touchantes car il y exprime son
vécu, ses difficultés et ses combats avec cœur et une grande sincérité.
La révolte gronde en lui, la colère vient souvent lui rendre visite et
il écrit son désarroi face à la bêtise des gens et à leur manque
d’humanité. La correspondance débute en 1972 alors que Falardeau, âgé de
vingt-cinq ans, est alors plein de fougue et d’ardeur créatrice mais la
déprime vient souvent remplacer l’exaltation, le laissant terrassé
devant les nombreux échecs de sa carrière de cinéaste dont entre autres
les refus de financement qui l’empêchent de travailler et le mettent en
rage. Il se laisse aller aux confidences en écrivant à son ami. Il
s’apitoie facilement sur son sort et doute constamment de lui-même et de
son talent. Il se voit comme paresseux et improductif ce qui mine sa
confiance en lui et le plonge régulièrement dans un profond désespoir.
L’argent est un problème récurrent dans la vie du cinéaste et il doit
vivre dans une insécurité financière constante ce qui ajoute à son
angoisse existentielle chronique. Heureusement, quelques succès viennent
couronner ses efforts, apportant un peu d’argent qu’il s’empresse
d’utiliser pour acheter quelques toiles de son ami hollandais qu’il
considère comme un grand peintre. Et sa vie se déroule au fil des pages,
avec ses joies et ses peines. La pensée politique de Falardeau se forge
au fil des jours et des expériences bonnes et moins bonnes que la vie
lui réserve. Le tout forme un récit très intime, à la limite du
dévoilement impudique à réserver aux inconditionnels du cinéaste qui
désirent approfondir leurs connaissances de l’homme et de son combat
pour la réalisation de ses films, sans cesse entravée par le
sous-financement et les problèmes de création.
Pierre Falardeau était un libre-penseur, un être à part qui a marqué la
conscience populaire du Québec et dont la mort laisse un grand vide dans
le cœur de beaucoup de gens d’ici. Sa sincérité, sa fougue et son goût
de la polémique manquent à tous ceux qui l’ont aimé. Son profond
humanisme ressort au fil des pages mais sa tendance à s’apitoyer sur
lui-même est parfois légèrement agaçante. Personne n’est parfait en ce
bas monde et l’homme était loin de l’être et ce livre nous permet de
mieux le connaître et mieux le comprendre.
« Je trouve qu’il est difficile de créer quand il y a tant de médiocrité
autour de soi. Peut-être que je suis un peu vaniteux lorsque je dis ça.
Mais je ne pense pas. Je suis médiocre moi-même lorsque je ne fais
rien. Peut-être que nous ne ferons jamais rien si nous attendons que ce
qui nous entoure finisse par nous donner de l’enthousiasme à créer. Il
faut vraiment plonger très profondément en soi-même pour trouver les
forces nécessaires à la création. Sinon, nous deviendrons ce qu’ils
souhaitent : de bons spectateurs, de bons consommateurs, de bons
acheteurs. C’est à l’intérieur de moi qu’il faut d’abord que je trouve
l’enthousiasme. »
« Maintenant, je me sens bien. Et la seule façon pour moi de ne pas
mourir écrasé par mes problèmes, mes pensées, est de produire. Produire
contre cette civilisation, se battre pour la tuer. Je produis pour ne
pas me tuer. J’ai toujours été un homme en colère. C’est ça qui me fait
travailler. Je travaille pour ne pas être tué par ma propre colère. Ce
n’est pas pour avoir lu trop de livres à propos des systèmes que je suis
révolutionnaire. C’est juste que je suis fatigué de toute cette merde. »
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