jeudi, juin 18, 2009

"Au bord de la vaste mer" d'August Strindberg


Axel Borg est un être doué d’une intelligence supérieure à la moyenne de ses concitoyens. Conscient de sa valeur, il n’a de cesse de travailler et d’étudier afin de pouvoir exercer sa soif de domination et de pouvoir et ainsi créer une nouvelle race humaine à son image et à son niveau intellectuel rien de moins… Borg se distingue partout où il passe mais son savoir lui attire la haine des autres et surtout, fait de lui un être dangereux qu’il faut à tout prix neutraliser. Ses études universitaires terminées, il obtient un poste de préparateur à l’Académie des Sciences, s’étant spécialement adonné à l’étude des sciences naturelles. Ses supérieurs ayant tôt fait de voir en lui une menace et un intrus, ils s’empressent de l’accabler de travaux d’importance secondaire et rebutants. Borg endure tout et supporte bravement les persécutions pendant sept longues années. Il demande ensuite un poste d’inspecteur de pêche et obtient facilement la place d’inspecteur principal dans l’archipel de Stockholm. Sa tâche consiste à enseigner aux pêcheurs à moins dépendre du stroemming, principale ressource qui menace de disparaître. Borg doit donc leur trouver un nouveau moyen de subsistance qui puisse remplacer l’ancien. Il s’installe donc dans la petite île de Oesterskaer et commence à travailler. Mais, bien que se démenant pour aider les habitants de l’île à améliorer leur sort, il est bientôt en butte à l’hostilité générale de la population qui voit en lui un être qui les méprise et ne cherche qu’à les dominer. Un thème développé dans "Le bouc émissaire". Notre héros commence à trouver la situation intenable quand une jeune femme et sa mère débarquent dans l’île. Borg, qui jusqu’à ce jour, n’a accordé d’importance qu’au savoir et à ses capacités intellectuelles découvre l’amour, ce qui vient bouleverser sa vie et sa façon de fonctionner. La machine commence à s’humaniser mais le savant constate que pour pouvoir conquérir cette femme, il devra laisser de côté sa supériorité et s’abaisser au niveau de celle qu’il aime plus que tout mais qu’il considère comme très inférieure à lui. Comment réussira-t-il ce tour de force de pouvoir concilier cette dualité en lui et s’abaisser sans pour autant renier tout ce qu’il est lui-même ?

Encore une fois, Strindberg m’a fait vivre un grand moment de littérature avec ce livre d’une densité et d’une profondeur d’analyse remarquables. Je sais, le firmament Strindbergien brille de nombreuses étoiles mais comment faire autrement quand on plonge dans l’univers d’un tel génie ? Outre l’histoire d’amour de Borg et de Mademoiselle Maria, Strindberg nous gratifie de magnifiques descriptions de la faune marine, de la flore et du monde minéral d’un archipel suédois. Mais ce qui domine le récit, c’est la personnalité monstrueuse et pourtant attachante de Borg, cet homme tourmenté, solitaire, angoissé, élitiste, supérieur et perfectionniste. Comment ne pas faire le rapprochement avec l’auteur car c’est bien lui que je percevais à travers ce personnage de fiction. Un homme qui essaie de diriger sa vie à sa guise en évitant le contact des autres qu’il juge inférieurs et dont la société le fait dévier de son but et lui fait perdre des capacités intellectuelles acquises au prix de grands sacrifices. La solitude constitue un refuge mais elle mène aussi souvent tout droit à la folie... Je ressors de cette lecture totalement bouleversée ! La fin est tout simplement hallucinante !

« Il s’enivrait de cette idée, sentait comment son Moi croissait, comment les cellules de son cerveau germaient, crevaient leurs écorces, se multipliaient et engendraient de nouvelles espèces de représentations qui, un jour, jailliraient sous forme de pensées, tomberaient dans la substance des autres cerveaux comme des champignons de levain, forceraient des milliers d’êtres à servir de couches pour ses idées germantes — ne fût-ce qu’après sa mort… »

« Fini, l’espoir de sa jeunesse de trouver la femme qu’il cherchait ! « Une femme ayant assez de raison pour comprendre l’infériorité de son sexe à l’égard de l’autre. » » (Strindberg était reconnu comme ayant de fortes tendances à la misogynie et cela transparaît souvent dans ses écrits.)

« Tu vois, Borg, que tu crains la mort ! — Parbleu ! Comme tout ce qui vit et qui, sans la crainte de la mort, n’aurait jamais vécu ! Mais le jugement, vois-tu, je ne le crains pas ; car c’est l’œuvre qui fait juger le maître, et ce n’est pas moi qui me suis créé ! »



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