lundi, mai 28, 2012

"Un très mauvais ami" Pierre Falardeau

Lors d’un festival du cinéma de Lille, le cinéaste québécois Pierre Falardeau fait la rencontre du peintre hollandais Léon Spierenburg. Leur amitié durera toute leur vie et seule la mort réussira à y mettre un terme. Pendant toutes ces années, les deux hommes échangeront une correspondance qui, sans être particulièrement fournie, étonne car elle s’étend sur de nombreuses années. Le livre présente toutes les lettres écrites par Pierre Falardeau à son ami hollandais mais malheureusement, aucune du peintre hollandais et je trouve un peu dommage de ne pouvoir lire aucune missive du peintre.

Les lettres de Pierre Falardeau sont touchantes car il y exprime son vécu, ses difficultés et ses combats avec cœur et une grande sincérité. La révolte gronde en lui, la colère vient souvent lui rendre visite et il écrit son désarroi face à la bêtise des gens et à leur manque d’humanité. La correspondance débute en 1972 alors que Falardeau, âgé de vingt-cinq ans, est alors plein de fougue et d’ardeur créatrice mais la déprime vient souvent remplacer l’exaltation, le laissant terrassé devant les nombreux échecs de sa carrière de cinéaste dont entre autres les refus de financement qui l’empêchent de travailler et le mettent en rage. Il se laisse aller aux confidences en écrivant à son ami. Il s’apitoie facilement sur son sort et doute constamment de lui-même et de son talent. Il se voit comme paresseux et improductif ce qui mine sa confiance en lui et le plonge régulièrement dans un profond désespoir. L’argent est un problème récurrent dans la vie du cinéaste et il doit vivre dans une insécurité financière constante ce qui ajoute à son angoisse existentielle chronique. Heureusement, quelques succès viennent couronner ses efforts, apportant un peu d’argent qu’il s’empresse d’utiliser pour acheter quelques toiles de son ami hollandais qu’il considère comme un grand peintre. Et sa vie se déroule au fil des pages, avec ses joies et ses peines. La pensée politique de Falardeau se forge au fil des jours et des expériences bonnes et moins bonnes que la vie lui réserve. Le tout forme un récit très intime, à la limite du dévoilement impudique à réserver aux inconditionnels du cinéaste qui désirent approfondir leurs connaissances de l’homme et de son combat pour la réalisation de ses films, sans cesse entravée par le sous-financement et les problèmes de création.

Pierre Falardeau était un libre-penseur, un être à part qui a marqué la conscience populaire du Québec et dont la mort laisse un grand vide dans le cœur de beaucoup de gens d’ici. Sa sincérité, sa fougue et son goût de la polémique manquent à tous ceux qui l’ont aimé. Son profond humanisme ressort au fil des pages mais sa tendance à s’apitoyer sur lui-même est parfois légèrement agaçante. Personne n’est parfait en ce bas monde et l’homme était loin de l’être et ce livre nous permet de mieux le connaître et mieux le comprendre.

« Je trouve qu’il est difficile de créer quand il y a tant de médiocrité autour de soi. Peut-être que je suis un peu vaniteux lorsque je dis ça. Mais je ne pense pas. Je suis médiocre moi-même lorsque je ne fais rien. Peut-être que nous ne ferons jamais rien si nous attendons que ce qui nous entoure finisse par nous donner de l’enthousiasme à créer. Il faut vraiment plonger très profondément en soi-même pour trouver les forces nécessaires à la création. Sinon, nous deviendrons ce qu’ils souhaitent : de bons spectateurs, de bons consommateurs, de bons acheteurs. C’est à l’intérieur de moi qu’il faut d’abord que je trouve l’enthousiasme. »

« Maintenant, je me sens bien. Et la seule façon pour moi de ne pas mourir écrasé par mes problèmes, mes pensées, est de produire. Produire contre cette civilisation, se battre pour la tuer. Je produis pour ne pas me tuer. J’ai toujours été un homme en colère. C’est ça qui me fait travailler. Je travaille pour ne pas être tué par ma propre colère. Ce n’est pas pour avoir lu trop de livres à propos des systèmes que je suis révolutionnaire. C’est juste que je suis fatigué de toute cette merde. »

vendredi, février 12, 2010

"L'art du haïku" de Vincent Brochard et Pascale Senk

Que c’est beau un haïku de grands maîtres ! Je ne me lasse pas de lire ces petits poèmes de trois lignes rédigés il y a longtemps par des poètes tels que Bashô, Issa et Shiki. Cela semble tout simple d’écrire trois petites lignes mais il est plus compliqué qu’il n’y paraît car pour être bon, un haïku doit rassembler un certain nombre de caractéristiques comme par exemple, comporter au moins un mot qui évoque une saison, être bien balancé, avoir été écrit dans un instant de sincérité où l’être humain redevient comme un petit enfant et perçoit les choses aussi clairement que lui, sans utiliser son intellect ni ses connaissances acquises. Quand on est un adulte, cela est très difficile à réaliser. Il faut être capable d’oublier son ego, de se mettre en condition de réceptivité maximale et alors, le haïku jaillit de lui-même et il ne reste qu’à le coucher sur le papier. C’est d’ailleurs un art très pratiqué dans le bouddhisme zen, discipline où l’un des enseignements essentiel est que toute forme d’existence et « mu-ga », c’est-à-dire « sans ego ». Quand vous laissez tomber votre ego, vous êtes capable d’entrer en communion avec le monde qui vous entoure et vous laisser pénétrer de son essence. Vous percevez alors les couleurs, les sons, les odeurs, les images comme lorsque vous étiez encore dans la petite enfance. Rappelez-vous comme c’était merveilleux ! Et il est tout à fait merveilleux ce livre également et lorsque je l’ouvre, j’accède à un monde magique, un monde de sensations infinies, un monde qui me rend heureuse et me montre qu’il existe de telles beautés sur la terre et dans l’espace que la plupart des humains ne voient jamais, ne perçoivent jamais, pris dans leur course quotidienne pour la survie et la recherche de plaisirs vulgaires.

La première partie du volume est rédigée par Pascale Senk, rédactrice en chef du magazine « Psychologies » et auteur. Elle comporte de très beaux chapitres qui traitent de thèmes comme « Vivre dans la simplicité », « Accepter l’impermanence », « Se détacher », « S’incliner devant la nature. » La deuxième partie rédigée par Vincent Brochard est tout simplement sublime. Monsieur Brochard retrace l’origine et l’histoire du haïku, nous entretient de l’art des grands maîtres et analyse et explique la signification de plusieurs haïkus célèbres. Il nous explique aussi la philosophie et le mode de vie de haijins illustres comme Bashô et Shiki. Suit un poème en prose de quelques pages de Bashô intitulé « L’ermitage de l’irréelle demeure », un florilège de haïkus ainsi qu’une biographie de Bashô, d’Issa et de Shiki. Un glossaire et une bibliographie complète l’œuvre.

Ce livre est une porte ouverte sur le bonheur. Je suis ravie de ma lecture et j’en redemande. Le monde du haïku est de toute beauté, si subtile et étrange. L’aborder me donne des frissons d’extase et de joie profondes. C’est comme ouvrir une porte sur l’infini, le sacré, le sublime, un monde de lumière et d’émotions pures. Je plains sincèrement les humains qui ne le découvriront jamais.

« À force de lecture, puis d’écriture de haïkus, l’esprit apprend sans doute progressivement à se taire. À laisser vivre ce qui l’entoure, tout simplement, êtres, nature, objets… Peu à peu, le lecteur découvre le plaisir pur d’une promenade tranquille dans les faits bruts du réel, soudain débarrassé du parasitage des commentaires intérieurs constants. »

« De la déchirure/ des nuages le vestige/ vent d’automne » Shiki

« Suivre les nuages, c’est faire de l’impermanence sa demeure. Les nuages ne cessent de se métamorphoser, leur existence intangible est éphémère, ils sont voués à disparaître. Mais quand on s’est délié de toute visée particulière et que l’on est parfaitement absorbé dans le vide de leur flux, quand on s’est abstrait du « moi » pour s’unir à la vacuité de leur dérive, il n’y a plus de point de départ ni de point d’arrivée, plus d’avant ni d’après. On est dans le présent. Dans le vide on a rejoint l’instant. »

« Nuit piquée d’étoiles/ pas une qui ne fasse la grâce/ de s’envoler » Shiki

Et moi, je m’envole…

vendredi, janvier 29, 2010

"L'archimandrite" de Gabriel Matzneff

Très beau roman signé Gabriel Matzneff. L’auteur se met en scène par le biais du personnage de Cyrille Razvratcheff, un jeune homme de vingt-huit ans, parisien d’origine russe dont le père était un grand seigneur à l’ancienne mode et dont la mère ne revint jamais de sa déportation à Buchenwald. Cyrille prépare une licence de lettres classiques à la Sorbonne mais il est inconstant et passe le plus clair de son temps à draguer des filles à la piscine Deligny. Il vogue ainsi de conquêtes en conquêtes et ses aventures sont purement érotiques jusqu’à ce qu’il rencontre Béatrice, une jeune fille de bonne famille. Alors commence pour Cyrille une relation orageuse qui se transforme très vite en une passion possessive qui ne lui laisse plus de répit et qui va lentement détruire sa vie.

Sur cet amour passionné qui prend beaucoup de place dans le récit viennent se greffer plusieurs personnages intéressants. Nous avons le père Jules Boulard, un catholique romain converti à l’orthodoxie et vivant avec sa mère. L’archimandrite Spiridon (Boulard) effectue les tâches de son ministère comme un boulot ordinaire et il est dévoré par l’ambition. Il rêve de s’élever dans la hiérarchie de l’Église orthodoxe et est obsédé par le droit canon. Il y a aussi la famille Herman dont le père est avocat du barreau de Paris et aussi vice-président de la Fédération des étudiants russes. Nous retrouvons également le père Carderie et autres représentants de l’Église orthodoxe. Enfin, tous se réunissent régulièrement chez les Herman afin de discuter de l’avenir de l’orthodoxie en France et autres grandes questions de l’heure.

C’est un roman qui renferme les thèmes typiquement matzneviens que sont la religion, l’amour, la baise, l’orthodoxie, le salut de l’âme, le mal de vivre et le suicide. Comme je l’ai déjà mentionné, l’histoire d’amour entre Béatrice et Cyrille domine le récit et cela devient un peu lassant. J’ai trouvé le personnage de Béatrice assez fade et insipide. La relation entre elle et Cyrille est plutôt quelconque. Le sexe est le ciment de leur attirance mutuelle mais le jeune homme cynique et libertin éprouve pour elle des sentiments jamais éprouvés auparavant. Par contre, Béatrice fait preuve envers lui de superficialité et ne cherche pas à sonder son pâme. Elle se comporte comme une jeune bourgeoise mondaine, ce qu’elle est après tout. J’aurais aimé que monsieur Matzneff développe plus le personnage de l’archimandrite car il m’a semblé beaucoup plus intéressant ainsi que les membres de la famille Herman.

Ce n’est pas un roman que je recommande à tous. Il est à mon avis réservé à ceux qui aiment Gabriel Matzneff et désire entrer dans son univers quoique ce soit un roman extrêmement bien construit et d’une écriture de grande qualité. Mais on n’y retrouve pas l’humour inimitable de l’auteur sauf par petites touches de ci de là. C’est plutôt un roman basé sur la dualité qui existe entre les plaisirs de la vie terrestre et l’importance d’assurer son salut. La fin est extrêmement émouvante et belle.

« Méprisant les autres, s’ennuyant avec lui-même et, bien qu’il se démenât pour être heureux, n’aimant pas la vie, il était incapable d’engagement, incapable de sérieux et il ne savait que jouer avec le monde, jouer avec l’Église, jouer avec la politique, jouer avec l’amour, jouer, jouer, jouer, pour toujours pouvoir crier « pouce », se désolidariser et s’enfuir dans la solitude à la recherche de quelque chose qui ressemblât à une paix intérieure, qui n’était jamais qu’un vide affreux et qu’il fuyait pour retourner à ses spectres de passions lorsqu’il ne supportait plus ce désert de l’âme que seul un dieu aurait pu emplir et où il ne rencontrait qu’un diable morose qui lui ressemblait comme son double et qui le regardait en ricanant. »

« Il ne voulait pas rentrer chez lui. Il sentait poindre une de ces heures mauvaises où, prenant en une égale horreur sa solitude et sa liberté, il marchait au hasard des rues, comme un possédé, à la recherche de n’importe quoi qui ne fût pas lui jusqu’à ce qu’il trouvât l’oubli dans le plaisir, dans la boisson ou dans un cinéma. Moments de vacuité affreuse où ni l’art, ni la sagesse, ni la religion, ni le respect de soi ne comptaient pour rien et où Razvratcheff n’était plus qu’un pantin disloqué, morcelé, écartelé par ses démons innombrables comme un supplicié par des chevaux. Cette inquiétude et cette torpeur de l’âme le visitaient presque chaque jour au coucher du soleil et, s’il se trouvait seul, il était rare qu’il ne s’abandonnât pas à ces ténèbres dont, après y avoir tourné en rond pendant des heures comme un homme ivre, il émergeait le corps brisé et demandait alors au sommeil pacifiant de lui rendre un semblant d’intégrité. »



"Ivre du vin perdu" de Gabriel Matzneff

La nostalgie des amours mortes

Ce livre est la suite de « Isaïe réjouis-toi ». On y retrouve les personnages de Nil Kolytcheff et ses amis soit Dulaurier, Me Béchu, « le psychanalyste-qui-a-demandé-la-nationalité-française » et plusieurs autres. De nouveaux personnages font leur entrée en scène comme Rodin, ce banquier homosexuel de cinquante-huit ans, compagnon de voyage de Nil et qui partage son goût pour les « jeunes personnes ». Nous retrouvons aussi Angiolina, l’adolescente qui a bouleversé la vie de Nil pendant trois années avec ses colères, sa jalousie et sa folle passion.

Donc, huit années ont passé depuis le divorce de Nil d’avec Véronique, son grand amour. La liaison avec Angiolina fait également partie du passé et Nil tente d’exorciser la douleur en reprenant sa vie de libertin. Il collectionne les lycéennes et effectue de fréquents voyages en Asie, afin d’y pratiquer le tourisme sexuel avec des enfants parfois d’une jeunesse plutôt choquante. Donc, sa vie est un chassé-croisé amoureux et Nil vit dans la peur de rencontrer une de ses jeunes maîtresses alors qu’il est en compagnie d’une autre. Deux jeunes filles de la haute société se partagent son amour en priorité : Laure et Anne-Geneviève. Mais il y en a beaucoup d’autres qui entrent dans sa vie et en ressortent sans vraiment y laisser de marque significative. Mais malgré toute cette agitation des sens, Nil ne parvient pas à oublier Véronique et la douleur de la séparation est toujours aussi présente et lancinante. Un jour, il reçoit un appel d’Angiolina qui désire le rencontrer. Nil ne peut résister à l’envie de revoir son ancienne maîtresse adorée mais la rencontre s’avère désastreuse. Et Nil s’empresse de mettre en pratique ce qu’il fait encore le mieux dans les situations inextricables : il prend la fuite.

Bien entendu, le personnage de Nil n’est nul autre que l’auteur qui nous livre une partie de sa vie et des combats qu’il a dû affronter pour faire face à toutes les situations pénibles et extravagantes qu’il a souvent lui-même provoquées. Difficile de bien comprendre et cerner cet homme compliqué à la sensibilité parfois à fleur de peu et au romantisme fou qui est capable d’aimer comme nul autre mais qui se transforme souvent en monstre d’égoïsme et de vénalité en s’abîmant dans la pédophilie la plus abjecte. Il me fascine, je n’arrive pas à le détester et encore moins à le mépriser. Il est parfois si touchant de vulnérabilité que j’aurais tendance à m’attacher à lui de plus en plus au fil de mes lectures. Sa prose est parfois tout simplement magnifique. Le chapitre quatorze est un chef-d’œuvre. Gabriel Matzneff y analyse sa liaison avec Angiolina et la description des émotions, des sentiments et des bonheurs vécus à deux m’a littéralement éblouie. Je pénètre dans l’univers de cet homme étrange avec un soupçon de voyeurisme je l’avoue mais aussi avec un intérêt certain pour les motivations obscures qui dirigent sa vie et ses comportements qu’on peut certainement qualifier de déviants. Mais là, je parle en moraliste car qui suis-je pour le juger ? Je ne le juge pas, je cherche à le comprendre et cela me passionne.

Un livre que je ne recommande pas à tous, seulement aux lecteurs désireux de mieux connaître cet homme car les autres risquent de ne pas apprécier le libertinage et l’éclatement de la morale petite bourgeoise dont la plupart d’entre nous sommes imprégnés. Certains passages m’ont renversée par leur poésie et leur lyrisme fortement teinté de romantisme d’une autre époque. Très beau !

« Les amants boivent le thé, en silence. De temps à autre, ils échangent un sourire, et Nil se penche pour poser un léger baiser sur les lèvres de la jeune fille. Tous les deux, ils savourent au suprême la douceur de ces minutes. Dehors, c’est la presse, le froid, la méchanceté, mais « dehors » n’existe pas. L’unique réalité est cette chambre sous les toits où flotte, tiède, brumeuse, une odeur de plaisir et d’encens. »

« Nil n’a pas fini de souffrir. S’éloignant à grands pas, il savoure l’âcre et fatale volupté du malheur. Son bras nu encercle les épaules de Laure, dont les longs cheveux aux changeants reflets de miel, tantôt très clairs et tantôt plus foncés, coulent sur sa peau comme des pépites d’or liquide. »

« La moiteur de l’air enveloppait les rues vides d’un halo de tristesse nébuleuse. Déjà sinistre à l’accoutumée, la rue de la Glacière était, en ce dimanche d’août, à quatre heures de l’après-midi, semblable aux avenues mortes d’un cauchemar. »

"Isaïe réjouis-toi" de Gabriel Matzneff


Il s’agit d’un roman autobiographique ayant pour thème principal le mariage. En effet, il n’est pas bien difficile de reconnaître monsieur Matzneff dans le personnage de Nil Kolytcheff, un écrivain bohème de trente-deux ans qui épouse Véronique Tourountaï dont il est éperdument amoureux. Pour Nil, qui est de confession orthodoxe, le mariage c’est sacré et il hésite longtemps avant de s’engager dans cette voie. Il finit par céder sous la pression de plusieurs personnes de son entourage qui ont une forte influence sur lui. Mais tout ne va pas pour le mieux dans cette union passionnée et orageuse. Les deux jeunes gens ont des caractères qui s’accordent parfaitement dans de nombreuses situations de la vie mais Véro ne tarde pas à se plaindre de la domination que son mari exerce sur elle. Il y a aussi l’arrivée d’Anthony, un jeune étudiant anglais âgé de seize ans dont Véro tombe amoureuse bientôt suivie de Nil. Un gentil ménage à trois se forme mais Véro désire le jeune garçon pour elle toute seule et pour arriver à ses fins, elle va trahir la belle confiance que Nil mettait en elle.

Un très beau roman qui analyse avec une finesse extraordinaire les relations de couple et la signification du mariage. J’ai suivi avec ravissement les tribulations de Nil et de Véro et très vite je me suis attachée à ces deux êtres en quête d’amour, de passion et de tendresse. Ils s’aiment, ils se déchirent, se trompent, se réconcilient, se fondent l’un dans l’autre pour ensuite s’éloigner pour échapper à cet amour délirant, passionné, profond et aussi destructeur que possible. Mais deux êtres si proches l’un de l’autre pourront-ils arriver à survivre à une rupture ? Anthony réussira-t-il à combler le vide que le départ de Nil laisse dans la vie de Véro ? Véro réussira-t-elle à s’attacher ce jeune garçon d’une incroyable beauté qu’est Anthony ? Son amour pour Nil reprendra-t-il le dessus ou est-il définitivement à l’agonie ? Et Nil dans tout ça ? Lui dont le mariage était si important et qu’il plaçait au-dessus de tout ce qui existe sur terre, comment vivra-t-il cette trahison de Véro ? Arrivera-t-il à croire encore en Dieu, bouleversé et pris dans la tourmente de cette union que beaucoup de ses proches jugent irrémédiablement vouée à l’échec.

Ce n’est pas un roman qu’il faut lire séparément du reste de l’œuvre de monsieur Matzneff car il est trop autobiographique. Je ne le conseille donc pas tellement à tous. Il faut le lire en ayant à l’esprit que l’auteur nous livre une partie de sa vie qui a été très importante et déterminante pour lui. D’ailleurs, je crois que dans le roman suivant « Ivre du vin perdu », il reprend le personnage de Nil et que c’est une suite à celui-ci. Pour vraiment apprécier cette œuvre, il faut plonger dans l’univers matznevien sans retenue et avec une belle ouverture d’esprit. Quelques scènes avec de très jeunes enfants pourront choquer le lecteur non averti mais elle ne sont pas très nombreuses et sont écrites avec beaucoup de retenue et de délicatesse. Une belle lecture donc. L’auteur nous livre de très belles phrases et des réflexions étonnantes sur la vie et l’amour que j’ai grandement appréciées.

« Ils avaient cru que leur commune tendresse pour le jeune garçon conforterait leur mariage, serait une couche de peinture neuve sur leur amour ancien. Or la fièvre tierce qui les brûle agit entre eux comme un brouillard où, à deux mètres, on ne se voit ni ne s’entend. »

« Mes yeux papillotent. Tu connais ma chambre, tu sais d’où je t’écris : Londres scintille de ses lumières jaunes, rouges et vertes. Ma lampe violette, posée sur la table, éclaire le papier, tandis que les petites taches sur ma nappe-drap parme me rappellent que mon adorable amant a mangé à l’endroit même où je suis assise. »

« Paris sépare, atomise. Un homme et une femme qui s’aiment, sont heureux, vivent en harmonie, Paris ne le supporte pas. Un couple uni, quelle désuétude ! un couple chrétien, quel grotesque ! Paris railleur, Paris qui salit et dégrade tout ce qu’il touche. Paris et son odeur de cadavre. »

mercredi, décembre 16, 2009

Matzneff, Gabriel




Nous n'irons plus au Luxembourg

"Nous n'irons plus au Luxembourg" de Gabriel Matzneff


Alphonse Dulaurier âgée de soixante-six ans et surnommé Pomponius Atticus par ses élèves, est un professeur de grec et de latin jouissant d’une retraite bien méritée après vingt-huit années d’enseignement au lycée Carnot à Paris. Vivant plutôt confortablement dans son appartement de la rue Malebranche près du jardin du Luxembourg, monsieur Dulaurier est installé dans une routine de vieux garçon tatillon et un peu maniaque. Amateur de bonne chère et de bons vins, il ne dédaigne pas non plus avoir recours aux très jeunes prostituées afin de garder une bonne hygiène de vie et évacuer le stress quotidien. Monsieur Dulaurier a la chance d’avoir un fidèle ami en la personne de maître Jean-Pierre Béchu, un grand avocat parisien habitant la rue Guynemer. Les deux hommes s’entendent comme larrons en foire et se rendent visite à tour de rôle pour des dîners bien arrosés. Donc, tout baigne dans la vie de monsieur Dulaurier jusqu’au jour où une colique néphrétique le plonge dans les affres de la souffrance et l’oblige à changer radicalement son régime de vie. Dès lors, des personnages nouveaux entrent dans sa vie comme la comtesse Grancéola, directrice de l’Union mystique universelle, un organisme voué à la lutte contre la pollution et sa meilleure amie Adélaïde Cramouillard. Les deux femmes vont prendre les choses en main et initier monsieur Dulaurier au Zen macrobiotique. Le gomasio, le tamari, le thé Mû, les bienfaits de la mastication et du jeûne, le kacha, le riz complet remplacent viandes rouges, gibiers et volailles baignant dans la sauce dont notre héros était friand. De nouvelles activités viennent aussi occuper notre homme : manifestations anti-pollution, messes pop, marches de protestations et restaurants végétariens. Mais, l’apothéose consiste en l’arrivée du gourou Nagarjouna qui nourrit de grands projets pour ses nouveaux adeptes…

Franchement, l’humour de Gabriel Matzneff est tout simplement irrésistible. Je me suis tellement amusée à lire son livre ! C’est frais, primesautier, subtil, fin et d’une écriture recherchée. Monsieur Matzneff se moque gentiment des modes, des courants de pensée et aussi du régime alimentaire prôné par les adeptes de macrobiotisme. Le personnage de Dulaurier est pathétique et assez pitoyable dans sa grande naïveté et son manque de discernement. Il recherche le bien-être et le bonheur avec acharnement, devenant une véritable plaie pour son entourage avec ses lubies et ses manies. Il essaie de convertir tous ceux qu’il rencontre et ne réussit qu’à les faire fuir. C’est extrêmement drôle et truculent. Il se laisse embobiner par un mouvement qui ressemble fort à une secte. Pauvre homme ! Je n’ose penser à ce qui va lui arriver entre les mains de ces illuminés ! Mais peut-être y trouvera-t-il le bonheur tant recherché…

J'ai enlevé une étoile car le seul reproche que je pourrais faire envers l'écriture de monsieur Matzneff, c'est sa grande froideur. Ses personnages demeurent tout de même assez superficiels et j'aurais aimé plus d'introspection, de sentiments profonds et d'humanité. Pour l'histoire, c'est vraiment très divertissant.

« Du temps de sa pétulance, se mirer dans les glaces était chez lui un vrai tic. Sortant du café, par un geste automate, il jeta un regard au miroir placé près de la porte. Il aperçut un vieil homme au visage fripé, mal rasé, dont les cheveux, qui déteignaient, viraient au gris sale. Effrayé, il détourna les yeux. — J’ai soixante-six ans et demi, songea-t-il, mais hier j’en paraissais cinquante-six, au lieu qu’aujourd’hui on m’en donnerait soixante-seize. Encore quinze jours à ce rythme, et je suis mûr pour l’hospice des vieillards. »

« Ils rirent tous les deux et, pendant quelques minutes encore, cassèrent du sucre sur le dos de Platon, que Béchu n’avait jamais lu, et que Dulaurier n’avait pas ouvert depuis l’année de son agrégation, donc depuis quarante-quatre ans ; mais, Dieu soit loué, la France est un pays où il n’est pas nécessaire d’avoir lu un auteur pour en dire du mal. »

« Aimer un être, c’est s’exposer à souffrir pour lui, et par lui. M. Dulaurier aimait Paris comme il n’avait pas souvent aimé une femme, et Paris le tourmentait, d’une douleur sans remède. »



samedi, juin 20, 2009

Ryback, Timothy

Dans la bibliothèque privée d'Hitler

"Dans la bibliothèque privée d'Hitler" de Timothy Ryback


Un lecteur boulimique et insatiable

La meilleure façon de bien connaître la vie, la pensée d’un homme et ses centres d’intérêts n’est-elle pas de parcourir sa bibliothèque privée et d’y inventorier les livres les plus lus par son propriétaire. C’est ce que le journaliste et historien Timothy Ryback s’est donné pour tâche dans ce livre fascinant qui retrace les volumes ayant accompagné le leader nazi Adolf Hitler pendant les différentes périodes de sa vie civile et politique.

Hitler était un lecteur boulimique et insatiable. Faute de moyens financiers suffisants, il n’avait par reçu une éducation académique adéquate et en était pleinement conscient. Il recherchait donc dans les livres les connaissances qui lui faisaient cruellement défaut. Ces manques le plaçaient en état de fragilité face à des adversaires politiques souvent érudits et possédant une solide formation universitaire. Cette carence académique avait pour effet de provoquer chez Hitler une profonde insécurité et un état émotionnel souvent explosif.

Le livre de Timothy Ryback retrace donc les volumes qui ont pris une importance toute particulière dans la vie du dictateur. Il a sélectionné les ouvrages qui recelaient un contenu émotionnel ou intellectuel significatif. La majorité des volumes de la bibliothèque privée d’Hitler sont conservés à la section des livres rares et des manuscrits de la bibliothèque du Congrès à Washington et aussi à l’université Brown de Providence dans le Rhode Island. On y retrouve des livres de philosophie, des encyclopédies, des biographies, des livres sur l’occultisme et les phénomènes paranormaux, des livres traitant d’armement et de stratégie militaire entre autres. Timothy Ryback raconte de quelle façon chaque livre est parvenu à son propriétaire, qui le lui a offert, à quelle époque et dans quelles circonstances. Il étudie aussi chaque dédicace accompagnant le volume et en fait une analyse très intéressante. L’observation de l’état extérieur du livre révèle aussi clairement si son propriétaire l’a consulté assidûment ou bien s’il l’a laissé dormir sur son étagère. Certains volumes recèlent une foule de notes marginales, des soulignements de phrases et de paragraphes entiers, des réflexions, des points d’interrogations assez révélateurs de l’impression produite à leur lecture par Hitler. Donc, chaque volume que Timothy Ryback a étudié est décortiqué du début à la fin afin de bien faire ressortir l’importance que ce livre a eu dans le vie du Führer à l’époque où il l’a lu et l’influence plus ou moins durable qu’il a produit sur son lecteur. L’auteur expose aussi les circonstances qui ont amené la rédaction de Mein Kampf et l’accueil qui lui a été réservé par le lectorat allemand de l’époque. Certains auteurs ont eu une influence certaine sur la pensée d’Hitler entre autres Houston Stewart Chamberlain, Paul Lagarde, Alfred Rosenberg, Hans F.K. Günther, Ernst Jünger, Maximilian Riedel et des philosophes comme Goethe, Schopenhauer, Fichte et Nietzsche. Enfin, il y en a tellement que je ne peux pas tous les nommer ici mais j’ai pris une foule de notes qui me seront utiles car j’espère lire quelques-uns des livres cités si j’arrive à mettre la main dessus.

Le livre constitue aussi une excellente biographie d’Hitler et révèle des détails étonnants sur la vie de l’homme politique, sa pensée, ses ambitions, son caractère, ses amitiés, ses haines et sa mégalomanie. C’est un portrait saisissant de l’homme d’état qu’il nous offre par le biais de ses lectures. Il nous rend le dictateur très proche, parfois touchant dans sa vulnérabilité et sa détermination. Mais, sa monstruosité est aussi très bien décrite et je n’ai pu m’empêcher d’éprouver presque la nausée en lisant de quelle façon il banalisait la mort de tous ceux qui se dressaient sur sa route et ne cadraient pas avec la vision épurée de son monde idéal.

Un livre fascinant, un must pour ceux qui désirent mieux connaître cette époque et les lectures de l’homme qui l’a dominée par sa folie et sa démesure.

vendredi, juin 19, 2009

"Inferno" d'August Strindberg


Il ne s’agit pas d’un roman mais d’un récit autobiographique. En 1897, Strindberg séjourne à Paris et traverse une des périodes les plus noires de sa vie d’où le titre de son livre. En effet, son divorce vient d’être prononcé et l’écrivain est dans une situation psychologique et financière désastreuses. Il ne tarde pas à éprouver de sérieux problèmes de santé mentale. Il décrit cette période dans son récit et nous pouvons constater sa souffrance. Les crises d’angoisse, les délires paranoïaques, les nuits d’insomnie, les cauchemars ne lui laissent pas de répit. Durant cette période, l’écrivain délaisse la littérature pour se consacrer à des recherches et des expériences de chimie. Il espère pouvoir fabriquer de l’or, rien de moins mais ses espoirs sont constamment déçus. Il réside à l’hôtel, fréquente un groupe d’intellectuels, est encore amoureux fou de sa femme et la regrette amèrement. Il prend de grandes marches dans le cimetière Montparnasse et voit partout des signes de son destin. Il ramasse des papiers par terre, les lit et y décèle des messages à son intention. Il observe la nature et encore une fois, voit partout des visages, des personnages qui se confondent avec le paysage mais qui l’observent. Même les animaux semblent le guider vers des lieux spécifiques où il trouvera des messages à son intention. Il est convaincu que ses voisins complotent contre lui et désirent sa mort. Il se méfie de tout le monde. Bref, il est complètement fou ! Ses problèmes financiers l’obligent à se déplacer souvent et à demander de l’aide à de nombreux amis qui essaient de l’aider au rétablissement de sa santé mentale mais en vain. Strindberg souffre le martyre et songe au suicide. Il jette un regard désabusé sur sa vie et n’y voit qu’un enfer. Il est convaincu qu’il doit expier de graves fautes commises dans une vie antérieure. Cette crise durera environ deux années avant que l’écrivain voit le bout du tunnel.

Pauvre Strindberg, il m’a fait pitié et je n’ai pu qu’éprouver une immense compassion pour cet écrivain si intelligent, triste et tourmenté. Un récit prenant, angoissant qui s’inscrit dans une série de trois livres autobiographiques dont les deux premiers sont « Le fils de la servante » et le second « Plaidoyer d’un fou ». Il s’avérerait important de lire les deux premiers avant celui-ci pour bien comprendre cette période désastreuse de la vie du grand homme.

Ce livre comporte des chapitres admirables dont ceux relatant ses promenades au cimetière Montparnasse. Ce sont les pages les plus belles et les plus émouvantes qu’il m’ait été donné de lire à date. Un livre d’une richesse incroyable qui décrit à merveille les tourments que peut générer une santé mentale déficiente sur la vie et le jugement d’un homme si intelligent et cultivé soit-il. Ce n’est pas un livre qui se lit facilement, c’est noir, sombre, désespéré. Souvent j’ai éprouvé un profond malaise en le lisant mais comme c’est sensible et pathétique ! C’est une confession précieuse et sincère qui m’a rapproché encore plus de cet homme possédant une personnalité complexe des plus fascinante !

Strindberg a rédigé ce livre en français.

« O crux ave spes unica : ainsi les tombeaux me prédirent ma destinée. Plus d’amour ! Plus d’argent ! Plus d’honneur ! le chemin de la croix, le seul qui conduise à la Sagesse. »

« Un an s’est écoulé depuis ma première promenade matinale au cimetière Montparnasse. J’ai vu tomber les feuilles des ormes et des tilleuls, j’ai vu tout reverdir, les glycines et les roses fleurir sur le tombeau de Théodore de Banville : j’ai entendu le merle commencer sa chanson séductrice sous les cyprès, et les pigeons inaugurer la pariade sur les tombeaux. Maintenant les tilleuls jaunissent, les roses pourrissent et le merle ne chante plus, seulement il pousse un rire ricanant sur ses amours printanières, passées pour revenir. Et le sale automne et l’hiver boueux approchent pour passer comme le reste. »

« L’automne est arrivé encore une fois. Les tilleuls se rouillent et les feuilles en cœur tombent, touchent la terre avec un petit coup sec, font froufrou sous mes bottes pendant que je continue ma marche triomphale sur ces cœurs arides qui craquent. »