mercredi, décembre 16, 2009

"Nous n'irons plus au Luxembourg" de Gabriel Matzneff


Alphonse Dulaurier âgée de soixante-six ans et surnommé Pomponius Atticus par ses élèves, est un professeur de grec et de latin jouissant d’une retraite bien méritée après vingt-huit années d’enseignement au lycée Carnot à Paris. Vivant plutôt confortablement dans son appartement de la rue Malebranche près du jardin du Luxembourg, monsieur Dulaurier est installé dans une routine de vieux garçon tatillon et un peu maniaque. Amateur de bonne chère et de bons vins, il ne dédaigne pas non plus avoir recours aux très jeunes prostituées afin de garder une bonne hygiène de vie et évacuer le stress quotidien. Monsieur Dulaurier a la chance d’avoir un fidèle ami en la personne de maître Jean-Pierre Béchu, un grand avocat parisien habitant la rue Guynemer. Les deux hommes s’entendent comme larrons en foire et se rendent visite à tour de rôle pour des dîners bien arrosés. Donc, tout baigne dans la vie de monsieur Dulaurier jusqu’au jour où une colique néphrétique le plonge dans les affres de la souffrance et l’oblige à changer radicalement son régime de vie. Dès lors, des personnages nouveaux entrent dans sa vie comme la comtesse Grancéola, directrice de l’Union mystique universelle, un organisme voué à la lutte contre la pollution et sa meilleure amie Adélaïde Cramouillard. Les deux femmes vont prendre les choses en main et initier monsieur Dulaurier au Zen macrobiotique. Le gomasio, le tamari, le thé Mû, les bienfaits de la mastication et du jeûne, le kacha, le riz complet remplacent viandes rouges, gibiers et volailles baignant dans la sauce dont notre héros était friand. De nouvelles activités viennent aussi occuper notre homme : manifestations anti-pollution, messes pop, marches de protestations et restaurants végétariens. Mais, l’apothéose consiste en l’arrivée du gourou Nagarjouna qui nourrit de grands projets pour ses nouveaux adeptes…

Franchement, l’humour de Gabriel Matzneff est tout simplement irrésistible. Je me suis tellement amusée à lire son livre ! C’est frais, primesautier, subtil, fin et d’une écriture recherchée. Monsieur Matzneff se moque gentiment des modes, des courants de pensée et aussi du régime alimentaire prôné par les adeptes de macrobiotisme. Le personnage de Dulaurier est pathétique et assez pitoyable dans sa grande naïveté et son manque de discernement. Il recherche le bien-être et le bonheur avec acharnement, devenant une véritable plaie pour son entourage avec ses lubies et ses manies. Il essaie de convertir tous ceux qu’il rencontre et ne réussit qu’à les faire fuir. C’est extrêmement drôle et truculent. Il se laisse embobiner par un mouvement qui ressemble fort à une secte. Pauvre homme ! Je n’ose penser à ce qui va lui arriver entre les mains de ces illuminés ! Mais peut-être y trouvera-t-il le bonheur tant recherché…

J'ai enlevé une étoile car le seul reproche que je pourrais faire envers l'écriture de monsieur Matzneff, c'est sa grande froideur. Ses personnages demeurent tout de même assez superficiels et j'aurais aimé plus d'introspection, de sentiments profonds et d'humanité. Pour l'histoire, c'est vraiment très divertissant.

« Du temps de sa pétulance, se mirer dans les glaces était chez lui un vrai tic. Sortant du café, par un geste automate, il jeta un regard au miroir placé près de la porte. Il aperçut un vieil homme au visage fripé, mal rasé, dont les cheveux, qui déteignaient, viraient au gris sale. Effrayé, il détourna les yeux. — J’ai soixante-six ans et demi, songea-t-il, mais hier j’en paraissais cinquante-six, au lieu qu’aujourd’hui on m’en donnerait soixante-seize. Encore quinze jours à ce rythme, et je suis mûr pour l’hospice des vieillards. »

« Ils rirent tous les deux et, pendant quelques minutes encore, cassèrent du sucre sur le dos de Platon, que Béchu n’avait jamais lu, et que Dulaurier n’avait pas ouvert depuis l’année de son agrégation, donc depuis quarante-quatre ans ; mais, Dieu soit loué, la France est un pays où il n’est pas nécessaire d’avoir lu un auteur pour en dire du mal. »

« Aimer un être, c’est s’exposer à souffrir pour lui, et par lui. M. Dulaurier aimait Paris comme il n’avait pas souvent aimé une femme, et Paris le tourmentait, d’une douleur sans remède. »



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